Trianon est une souffrance pour chaque Hongrois

« Il est presque impossible de trouver, dans le Bassin des Carpates, une agglomération à population hongroise qui n’ait pas bénéficié d’un investissement public soutenu par le gouvernement » – déclare à Magyar Nemzet Árpád János Potápi, interviewé à l’occasion de la date anniversaire du traité de Trianon. Le secrétaire d’Etat à la politique de la nation au sein du cabinet du Premier ministre trouve inquiétant que la gauche – sous la houlette de Ferenc Gyurcsány – veuille ramener au pouvoir ceux-là même qui, dans leur obsession antinationale, voudraient appliquer une politique hostile aux hongrois qui vivent à l’extérieur de nos frontières, qui ont déclenché contre eux des campagnes de haine, et préfèreraient laisser entrer les migrants, plutôt que d’aider les hongrois de l’extérieur.

Imre Csekő
2021. 06. 06. 11:15
A Potápi Árpád János vezette nemzetpolitikai államtitkárság évek óta segíti a külhoni vállalkozókat Fotó: Mirkó István
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– En général, quelles pensées vous inspirent les anniversaires du traité de Trianon?

– Je me suis souvent demandé comment il a été possible que la nation hongroise, en 1918, quand la nécessité de se défendre aurait été la plus pressante, sombre dans l’apathie. Au moment où nous perdons la guerre, nos troupes sont à plusieurs centaines de kilomètres des frontières qui étaient alors encore les nôtres. Nous n’avons essuyé de défaite catastrophique sur aucun front – nous avons même réussi à tenir le front, et malgré tout, après l’annonce de l’armistice, nous n’avons rien fait pour défendre notre patrie. Et ceux qui, un an plus tard, allaient redresser le pays, ceux-là même, en 1918, assistaient encore impuissants à son effondrement. Je n’arrive tout simplement pas à m’expliquer cette grosse année d’apathie.

– Le traité de Trianon tranche de façon injuste – mais à quel point?

– C’est nous que le dictat a frappé le plus lourdement, alors même que nos péchés ne dépassaient en rien ceux des Autrichiens ou des Allemands, qui n’ont pas eu à subir de mutilations comparables en termes de territoire, de population ou d’économie. Même aux Autrichiens, nous avons dû céder des territoires, alors que nous formions avec eux un Etat fédéral, et qu’ils étaient tout aussi vaincus que nous – et qu’on pourrait même dire que c’est par leur faute que nous avions été entraînés dans cette guerre. Et malgré tout, il a fallu leur céder nos terres les plus riches : le magnifique Burgenland, sur les contreforts occidentaux des Alpes.

– Est-il seulement possible de mesurer les dommages infligés par le dictat à la nation hongroise?

– La façon dont nous avons été traités lors des négociations de paix est sidérante. Ce n’est pas seulement un pays, une unité administrative parfaitement fonctionnelle, qui a été ruiné, mais aussi la vie de dizaines de milliers de familles, dans ce bouleversement qui a affecté le plus gros de la société hongroise. Il a, en l’espace d’un instant, séparé les familles, qui pour beaucoup avaient des branches de part et d’autre du Bassin des Carpates. C’est comme si on avait voulu condamner la Hongrie à mort, mais sans jamais prononcer officiellement la sentence. On pourrait rappeler de longues séries de tragédies familiales – et pas uniquement celles de ceux qui se sont retrouvés à l’extérieur des nouvelles frontières. Ma famille, par exemple, est elle aussi issue des « hongrois de l’extérieur » : mes grands-parents avaient été déplacés de Bucovine dans la Bačka [aujourd’hui serbe – n.d.t.], pour finalement atterrir dans le département de Tolna – nous avons donc, nous aussi, nos propres histoires à raconter.

– Pourriez-vous nous confier l’une de ces histoires de famille?

– Le grand frère de l’une de mes grands-mères, par exemple, a été condamné à mort, parce que, à la tête de son régiment, il refusait de prêter serment au Roi de Roumanie. Il n’a dû son salut qu’au versement d’une rançon. Trianon n’est pas un concept insaisissable, mais signifie pour presque chaque hongrois une souffrance bien concrète.

– Quel est pour nous le message de Trianon en 2021?

– Ce qu’il faut en retenir, c’est que, en dépit de toutes les difficultés, la Hongrie et la nation hongroise ont réussi à se redresser. Dix ans après Trianon, ce pays mutilé occupait à nouveau sa place dans le concert des nations, que ce soit d’un point de vue économique, social ou politique, et dès les années 1930, il était redevenu capable d’exhiber des valeurs culturelles qui le rendaient universellement attrayant. S’ensuivit une nouvelle période d’épreuves et de tragédies, au cours de la Deuxième Guerre Mondiale. Souvenons-nous seulement de la déportation des Juifs, des transferts de population et du million de prisonniers de guerre. Ensuite, il y a eu 1956, marqué par l’exil de deux cent mille hongrois, jeunes et précieux pour la nation. Après tout cela, le simple fait qu’on puisse aujourd’hui encore parler de la Hongrie relève en soi du miracle. Grâce à l’endurance des Hongrois, à leur attachement au sol natal et à leur foi dans un renouveau, la patrie et la nation hongroises ont été capables de survivre à la tragédie de Trianon. Si l’on dresse le bilan des dix dernières années dans la perspective du siècle écoulé, il n’est pas exagéré de dire que, pour la nation hongroise, elles ont constitué la décennie la plus réussie des dix. Nous avons réalisé des performances remarquablement bonnes dans tous les domaines de la vie. Après de longues décennies de dispersion, nous avons réunifié et reconstruit la nation hongroise. Désormais, c’est même dans leur quotidien que les hongrois de l’extérieur peuvent en faire l’expérience : il n’y a pas de différence de hongrois à hongrois. C’est au sommet de ce développement sans précédents que nous avons été atteints par la pandémie, mais elle non plus n’est pas parvenue à briser la nation. Mais nous sortirons aussi de la crise actuelle – nous en sortirons même renforcés.

– Quel a été l’impact de l’épidémie sur les programmes de la politique nationale?

– Dans le domaine de la politique nationale, au cours des douze derniers mois, au lieu d’événements et de rencontres en personne, nous avons mis l’accent sur les développements structurels, mais non sans réussir à poursuivre les programmes déjà entamés, pour partie en distanciel. Rares sont les jours au cours desquels, dans l’ensemble du Bassin des Carpates, on n’inaugure aucun de nos investissements. Il se trouve en effet que c’est à présent qu’on achève beaucoup des développements entamés au cours de la décennie écoulée.

– Comment la nation hongroise doit-elle coexister avec l’idée de Trianon ? Pour vous, avons-nous aujourd’hui, en tant que nation, réussi à dépasser ce trauma?

– Non, je pense qu’il n’a été dépassé ni à l’intérieur des frontières de la Hongrie actuelle, ni chez les hongrois devenus extérieurs. L’image reste trouble. Peut-être est-il encore trop tôt pour cela : l’événement, après tout, est encore récent. Chez nous, par exemple, les grands-parents ont encore été des témoins directs du drame. Ensuite, pendant une demi-douzaine de décennies, il a été interdit d’en parler. La notion même de Trianon, comme celle de hongrois de l’extérieur – qu’on le veuille ou non –, s’est intégrée à notre identité nationale. Une partie non-négligeable de la population du « pays-mère » [la Hongrie actuelle – n.d.t.] est constituée de hongrois de l’extérieur – ou de leurs enfants et petits-enfants. Lorsque je vais inaugurer tel ou tel objectif, par exemple en Haute-Hongrie [Sud de la Slovaquie – n.d.t.], moi aussi, on m’y accueille comme un hongrois venu de l’extérieur.

Fotó: Árpád Kurucz

– La tragédie de Trianon nous poursuivra donc toujours ? Ne serait-il pas possible que les Hongrois, au bout d’un certain temps, commencent à la considérer comme un simple épisode historique, comme les raids tatares et l’invasion ottomane?

– A mon avis, Trianon est là pour rester : la différence d’avec les Turcs et les Tatares, c’est que les peuples bénéficiaires de Trianon sont restés nos voisins. Eux non plus n’ont toujours pas dépassé l’épisode, et nous aurions encore de grands progrès à faire sur cette voie. Nos relations avec les Serbes se sont considérablement améliorées : en Voïvodine, l’autonomie est déjà une réalité, et, sans oublier les blessures de l’histoire, il est néanmoins déjà possible de parler d’un avenir en commun. Cependant, tant qu’on ne clarifiera pas la question de concert avec les autres peuples du Bassin des Carpates, Trianon restera une question sans réponse, et les questions sans réponse sont toujours lourdes de dangers cachés.

– L’adhésion à l’Union européenne, qui a facilité le franchissement des frontières, n’a-t-elle pas aidé à dépasser le trauma de Trianon?

– Avant l’adhésion, il existait une impatience pleine d’espoir en ce sens. Beaucoup pensaient que notre adhésion à l’UE résoudrait – entre autres – ce problème, mais tel n’a pas été le cas. On se rend même compte à présent que l’Union a une attitude négative face à la question des minorités nationales. Pour Bruxelles, les droits des immigrés récemment arrivés – quand bien même ce serait il y a quelques semaines à peine – sont bien plus importants que ceux des nationalités autochtones.

– Comment voyez-vous l’attitude des hongrois du pays-mère vis-à-vis de ceux qui vivent au-delà des frontières de la Hongrie actuelle?

– L’opinion publique du pays-mère est en proie à une mentalité que je n’aime pas. Beaucoup s’imaginent les hongrois de l’extérieur dans une tonalité sentimentale, romantique, comme si ces hongrois-là continuaient à vivre avant les années 1920. Pour beaucoup, passer la frontière devrait être comme l’exploration d’une réserve d’indiens, où les autochtones se promènent en costume traditionnel et dansent des danses folkloriques. Les touristes venus de Hongrie s’étonnent même souvent d’y observer dans les magasins des prix semblables aux nôtres. Pour les hongrois de l’extérieur comme pour nous, la vie a suivi son cours : ces territoires se développent comme les nôtres, et les gens y vivent leur vie quotidienne comme ici : en élevant leurs enfants et en travaillant.

– La politique de la nation que mène le gouvernement n’a-t-elle pas réussi à tempérer quelque peu ce phénomène?

– Nous avons lancé de nombreux programmes, dont les résultats sont déjà visibles, et considérables. Nous avons lancé le programme « Au-delà des frontières » (Határtalanul), grâce auquel il y a déjà 400 000 jeunes de Hongrie qui ont eu la possibilité de séjourner de l’autre côté de nos frontières. En ajoutant leurs familles, elles aussi concernées, on obtient un million et demi. C’est entre autres grâce à cela qu’aujourd’hui, 78% des jeunes entre vingt et trente ans a déjà voyagé sur les territoires des hongrois de l’extérieur, et que près des deux tiers de cette classe d’âge affirment qu’ils sont en contact quotidien avec des connaissances vivant au-delà de nos frontières actuelles. C’est là un progrès gigantesque, compte tenu du fait que, pour notre classe d’âge, la proportion de ceux qui se trouvaient dans la même situation est pratiquement nulle, et que même les parents proches n’avaient la possibilité de se rendre visite que tous les cinq ou dix ans. Grâce aux moyens de communication modernes, aujourd’hui, il est possible en tout lieu – au-delà de nos frontières, et jusque dans les lointaines diasporas – de vivre une vie communautaire pleinement hongroise, d’écouter la radio hongroise, de regarder la télévision hongroise et de lire la presse hongroise.

– Que pensez-vous de l’attitude de la gauche vis-à-vis des hongrois de l’extérieur?

– La gauche hongroise a une politique antinationale : pour elle, la nation n’est pas une valeur, et elle est prête à tout moment à renoncer à la souveraineté nationale, dans quelque domaine que ce soit. L’équipe Gyurcsány fait ouvertement campagne contre les hongrois de l’extérieur, une campagne de haine qui est toujours en cours. Ce même Ferenc Gyurcsány a, de plus, dompté tout le spectre de la gauche : c’est lui qui domine Gergely Karácsony, le Jobbik, les socialistes, tout le monde. Je ne sais pas comment font les gens du Jobbik – qui jadis se présentaient comme des nationalistes radicaux – pour s’asseoir à la même table que le DK [la Coalition Démocratique de Ferenc Gyurcsány – n.d.t.]. Ou plutôt, je ne le sais que trop : ils se sont vendus à Ferenc Gyurcsány. Tandis qu’il y a encore quelques années, ils tenaient encore un discours diamétralement opposé à celui du clan Gyurcsány, aujourd’hui, ils noient le poisson quand on évoque la question des hongrois de l’extérieur. Ensuite, vous avez le parti Momentum : un mouvement d’individus parfaitement désinhibés, et parfaitement anti-hongrois. Ils débarquent sur les territoires de minorités hongroises, se trouvent tel ou tel candidat sur place, et le lancent contre les partis hongrois, ou demandent pourquoi les hongrois de ces pays ne pourraient pas voter pour des candidats roumains ou slovaques, car, d’après eux, ce n’est pas la nationalité du candidat qu’il faudrait prendre en compte, mais son programme politique. C’est une tactique extraordinairement dangereuse, car, si elle parvient à affaiblir nos institutions politiques, tout le reste s’en trouvera affaibli : nos positions dans les conseils municipaux, et le soutien que reçoivent nos églises et nos écoles. Ce qui mènera à la perte des forces vives de la nation. La gauche nous dit que cela n’a aucune importance. Mais pour nous, c’est important. A quoi bon avoir consacré mille ans à l’édification d’une culture, si nous ne lui accordons même pas d’importance ?

– Par le passé, il est arrivé au DK d’affirmer ouvertement qu’il aimerait retirer leur droit de vote aux hongrois de l’extérieur, alors même que leur vote ne représente qu’un ou deux mandats au Parlement hongrois. Pensez-vous que la gauche, si elle arrivait au pouvoir, mettrait ses menaces à exécution?

– Il est certain qu’ils leur retireraient ce droit. Nous les avons déjà vus gouverner. Entre 2002 et 2010, ils ont rendu impossible l’octroi des mesures préférentielles dont bénéficiaient les hongrois de l’extérieur, et réduit en pièces le système institutionnel de la politique de la nation. Comme c’est un processus que nous avons déjà vécu de bout en bout, il est inutile de se demander ce qui arriverait si la gauche revenait au pouvoir. A gauche, le chef, c’est Ferenc Gyurcsány, dont la politique est clairement hostile aux hongrois de l’extérieur. Nous autres affirmons au contraire que les réussites de notre patrie sont le fruit du travail de la nation hongroise tout entière, qui a solidairement défendu cette patrie tout au long de mille ans. En prenant les frontières actuelles pour référence, on ne pourrait même pas parler d’histoire hongroise ou de culture hongroise. [Notre poète national – n.d.t.] János Arany, par exemple, est né à Nagyszalonta [aujourd’hui Salonta, en Roumanie – n.d.t.], tandis que Georges Dózsa a été exécuté à Timişoara. Ou souvenons-nous seulement d’Endre Ady, du prince Rákóczi ou d’Alexandre Márai, tous liés à des territoires situés aujourd’hui au-delà de nos frontières. La citoyenneté n’est pas divisible, et tout citoyen doit, de toute évidence, avoir – entre autres droits – le droit de vote. Soulignons aussi que les hongrois de l’extérieur décident librement du candidat pour lequel ils souhaitent voter. La Transylvanie, par exemple, est riche d’une société hongroise au grand complet, hétérogène, avec son public de droite et son public de gauche.

Fotó: István Mirkó

– Dans quelle mesure cette politique de la nation du gouvernement hongrois a-t-elle aidé les hongrois de l’extérieur au cours des dix dernières années?

– Plus qu’on ne saurait le dire. Aujourd’hui, il est presque impossible de trouver, dans le Bassin des Carpates, une agglomération à population hongroise qui n’ait pas bénéficié du soutien du gouvernement hongrois. Souvent, le geste en lui-même est encore plus important que l’argent alloué. Dans le cas d’investissements financés principalement par l’Union européenne, auxquels la Hongrie n’a ajouté que quelques millions de forints, il n’est pas rare qu’on constate que les bénéficiaires sont surtout fiers de la plaque commémorative portant les armes du gouvernement hongrois, qui leur rappelle le soutien de la mère-patrie. Nous avons multiplié par dix le budget alloué à la politique de la nation par le dernier gouvernement socialiste, en 2009. Nous avons reconstruit le Bassin des Carpates. Nous avons atteint un point à partir duquel il nous devient possible de penser en termes d’unité du Bassin des Carpates, dans l’enseignement, la culture, l’économie, les médias, ainsi que dans tous les autres domaines. C’est énorme !

– Dans la politique de la nation, nombreux sont les programmes axés sur les jeunes. En quoi favorisent-ils l’épanouissement des enfants hongrois de l’extérieur?

– Je pourrais vous dresser la liste de nos programmes, mais ce serait longuet. Nous accordons une aide éducative à chaque enfant du Bassin des Carpates qui fréquente une maternelle ou une école hongroise. Dans le cadre du programme de développement des maternelles du Bassin des Carpates, nous avons construit 179 nouvelles maternelles et crèches, et rénové 713 établissements dans tous les coins du Bassin des Carpates. Nous avons augmenté les moyens des écoles hongroises et de la formation professionnelle en hongrois. Dans ces territoires, des établissements d’enseignement supérieur en hongrois – comme l’Université Sapientia et l’Université Chrétienne du Partium en Transylvanie, ou l’Ecole Normale François Rákóczi II de Subcarpatie – fonctionnent grâce à nos financements. Pour nous, l’objectif le plus important est de les aider à se réaliser là où ils sont nés et de souder les communautés, car la nation tire sa force de la force de ses communautés. Cette année, qui sera l’année de la relance nationale, nous nous efforcerons, laissant derrière nous les cent dernières années et la pandémie, d’inaugurer une époque nouvelle. Après cent ans de solitude, cent ans passés à devoir constamment reconstruire, à présent, nous pouvons commencer un siècle au cours duquel nous avons des chances d’assister à l’ascension de notre nation et de sa région.

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