De nos jours, si l’on demandait à des hongrois moyennement cultivés, moyennement intéressés par le monde extérieur, ce qui leur vient à l’esprit quand on leur parle de la Hollande, il y a fort à parier que la plupart ne mentionneraient guère que le football, les tulipes et une marque de bière sur laquelle figure une étoile rouge. Puis ils citeraient encore les canaux, les moulins à vent, les filles de joie, et bien sûr la légalisation de la « fumette ». Les plus cultivés ajouteraient enfin Erasme, Rembrandt, Van Gogh, peut-être même, éventuellement, Thomas à Kempis, Hugo Grotius ou Johan Huizinga.
Mais ils sont bien sûr moins nombreux à savoir qui était Lamoraal, quatrième comte d’Egmont, dont nous célébrerons l’année prochaine le 500ième anniversaire. Il fut l’un des premiers chefs – et finalement un martyr – de la guerre de libération lancée dans les années 1560 par les Pays-Bas contre les Habsbourg espagnols qui les opprimaient, ce qui lui valut le drame romantique que Goethe lui a consacré – drame pour lequel Beethoven a composé en 1810 une musique d’accompagnement, en signe de protestation contre l’occupation de sa patrie par la tyrannie napoléonienne. Cette ouverture d’Egmont, qui passe pour l’hymne de la liberté, est le morceau qui a été le plus souvent entendu pendant la révolution de libération nationale hongroise de 1956, servant de musique de fond à la radio. Les Gars de Pest n’avaient probablement pas beaucoup entendu parler de cet aristocrate hollandais devenu héros de la liberté, mais le chef-d’œuvre musical du génial compositeur allemand unissait l’âme de ces deux peuples en armes pour leur liberté et leur indépendance.
Or le comte Egmont ne fut que le premier d’une série assez longue. Du fait de la réforme calviniste, les sept provinces protestantes des Pays-Bas ont tissé des liens très étroits avec la Transylvanie. C’est à cette époque que commence la pérégrination de masse des étudiants calvinistes hongrois vers les universités hollandaises : Utrecht, Groningen, Franeker, Leiden. À peine fondée, l’université de Harderwijk confère son premier doctorat à l’un des génies de l’histoire culturelle et pédagogique hongroise : le sicule János Apáczai Csere, qui avait compris aux Pays-Bas que c’est dans le cadre de leur combat de libération contre les Habsbourg catholiques d’Espagne que les Hollandais protestants avaient fondé toutes ces académies, car « c’est alors qu’ils s’étaient rendu compte que les armements qui se forgent dans les escoles sont plus importants que les boulets de canon ».