– Dans l’un de vos articles, vous écrivez que le libéralisme n’est pas viable. Sur quoi s’appuie ce jugement?
– Le libéralisme est capable de floraison quand il n’est pas chimiquement pur, mais mélangé à des éléments non-libéraux. Car en réalité, les traditions sur lesquelles le libéralisme s’est construit sont, notamment, la famille, des communautés soudées, la religion et la nation. Telles sont les préconditions du libéralisme, et les véritables sources nourricières de la coexistence des hommes. Or le libéralisme affaiblit toutes ces sources, en tant qu’institutions qui limitent notre liberté. Ce qui, donc, rend le libéralisme inviable, c’est qu’il tranche ses propres racines, dont il aurait besoin pour se perpétuer.
– Au vu des troubles en cours en Amérique, peut-on dire que nous sommes témoins du moment où le libéralisme montre au grand jour qu’il n’est pas viable?
– Oui. Mais c’est déjà ce qu’indiquaient aussi l’élection de Donald Trump, le Brexit et la montée des populismes à travers toute l’Europe. C’est aussi ce à quoi on assiste dans le cas des réactions d’hostilité de l’UE envers la Hongrie et la Pologne. Dans l’idéologie libérale, on observe un très fort sens de la mission, une volonté de réorganiser la société exclusivement autour de l’idée que nos traditions sont des caractères aléatoires que l’évolution sociale doit dépasser. La division à laquelle on assiste est due au fait que l’élite libérale à la tête des institutions qui gouvernent le monde occidental traite en ennemis tous ceux qui restent attachés aux traditions.

– A votre avis, dans quel état se trouve aujourd’hui la démocratie américaine?
– Elle n’est pas en bon état, car on ne voit pas comment le précipice social précédemment mentionné pourrait être comblé. En effet, pour que la politique fonctionne, il faut qu’aucune division ne soit d’une ampleur la situant au-delà du rayon d’action des compromis possibles entre hommes de bonne volonté – entre ceux qui admettent que leurs adversaires ne sont pas des ennemis, mais des concitoyens qui pensent différemment. Or dans l’Amérique d’aujourd’hui, chacun des deux bords voit l’autre camp comme un camp ennemi. Depuis les événements du 6 janvier dernier au Capitole, il arrive désormais que les organes de la sécurité d’Etat enquêtent sur tel ou tel citoyen en raison de ses vues politiques. De mon vivant, aussi loin que je me souvienne, cela ne s’était jamais produit. C’est un phénomène qui rappelle l’Union Soviétique. Certains citoyens, en raison de leurs opinions politiques, sont considérés comme des terroristes, comme l’ennemi intérieur. Il règne aujourd’hui dans mon pays une ambiance vraiment délétère, et je n’observe malheureusement aucune volonté d’y mettre un terme. Joe Biden a beau parler d’unifier le pays, son gouvernement ne reflète en rien une telle intention.