– Bethlen n’avait rien contre le principe d’un suffrage universel à bulletin secret, avec égalité des suffrages, mais il était, comme beaucoup de ses prédécesseurs de l’époque austro-hongroise, d’avis que la démocratie culturelle doit précéder la démocratie politique. Comme il le disait, la démocratie ne peut pas signifier « la tyrannie de masses incultes », de vastes couches de la population ne pouvant être associées à la vie de l’État qu’une fois qu’elles ont atteint la maturité économique et culturelle leur permettant, en pleine connaissance de leur intérêt bien compris, de prendre des décisions responsables en vue de leur avenir et de celui de leur communauté. À l’époque, même d’un point de vue occidental, beaucoup considéraient que dans notre région, seules la Tchécoslovaquie et la Hongrie pouvaient être considérées comme des démocraties. Je pense que cette opinion était justifiée, dans la mesure où la Hongrie faisait respecter l’état de droit, où la séparation des pouvoirs y était chose faite, compte tenu du fait que les partis libéraux et de gauche y disposaient d’une représentation parlementaire, et que la liberté de presse, d’association et de réunion y était presque complète. Quand on compare l’état de la politique intérieure des divers pays en la rapportant au niveau de développement qui est alors celui de l’Europe centrale, de l’Europe du sud et de l’Europe du sud-est, on se rend compte qu’on aurait vraiment tort d’avoir honte de la façon dont les choses se sont passées en Hongrie de 1921 à 1931, voire jusqu’en 1939. Et ce, alors même que la Hongrie post-Trianon, comparée à tous ses voisins, avait commencé son redressement et sa reconstruction avec un énorme handicap. N’oublions pas non plus que, dans l’entre-deux-guerres, il a existé une unanimité et un consensus de la nation tout entière en faveur d’une révision – si possible pacifique – du dictat de Trianon, mais aussi en faveur de l’idée que la Hongrie devait être un pays d’ordre et de sécurité, bénéficiant d’une croissance organique toujours plus soutenue – pour reprendre l’expression de Bethlen : « plutôt qu’une révolution, une évolution permanente ».