Jerzy Kwaśniewski : « L’OSCE a agi de façon partisane »

« — Le rapport de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) reprend le point de vue de l’opposition hongroise, dans un style qui rappelle plutôt un journalisme de parti pris qu’une évaluation neutre basée sur les faits » — déclare à Magyar Nemzet Jerzy Kwaśniewski, cofondateur en Pologne du centre de recherches juridiques conservateur Ordo Iuris et président de son conseil directorial, qui dirige la mission d’observation des élections hongroises de l’organisation nommée Alliance pour le Bien commun (Szövetség a Közjóért). Classé par l’édition bruxelloise de Politico parmi les personnalités européennes les plus importantes, Kwaśniewski pense que l’Europe centrale doit rester attachée à ses traditions constitutionnelles.

2022. 03. 31. 17:48
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— Les dernières nouvelles, en Hongrie, c’est que vous parcourez le pays avec vos collègues, en qualité d’observateur électoral. Dans quel cadre réalisez-vous cette activité?

— La mission d’observation des élections et du référendum que je dirige a été préparée par l’organisation Ordo Iuris et l’Université Collegium Intermarium de Varsovie ; elle implique la participation de partenaires venus de Croatie, d’Espagne, de Bulgarie et d’Ukraine, dans le cadre de notre réseau international nommé Alliance pour le Bien commun (en anglais : Alliance for the Common Good, ACG). En raison de la situation de guerre, nos collègues ukrainiens n’ont pas été en mesure de nous rejoindre, mais ils ont participé aux préparatifs. En tout, nous somme dix-huit dans le pays. Nous sommes arrivés le 24 mars, et comptons rester quelques jours encore après le scrutin. C’est alors que nous présenterons notre rapport final.

— Le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE (en anglais : ODIHR), en revanche, a d’ores et déjà rendu public le rapport intérimaire de sa mission d’observation des élections hongroises, rapport que vous avez critiqué dans une déclaration de principes. Pourquoi ces critiques?

— Au moment de notre arrivée, ce rapport était déjà au centre des escarmouches de la politique hongroise, tandis qu’à l’étranger, diverses forces avaient immédiatement entrepris de s’en servir comme d’une arme politique contre la Hongrie. C’est là une chose qui ne devrait pas se produire, étant donné que, utilisé de cette façon, ce rapport influence la campagne électorale hongroise – et, qui plus est, il le fait au plus fort de la bataille. En outre, ce rapport ne se contente pas de récapituler les « inquiétudes » qu’inspirent à certains le système électoral hongrois : on pourrait dire qu’il s’emploie à amplifier ces inquiétudes. Enfin, ce rapport – et c’est là l’aspect que nous critiquons le plus — viole les normes internationales en matière d’exactitude, de vérifiabilité et de neutralité.

— Pourriez-vous donner des exemples?

— Pour faire référence aux lois de protection de l’enfance qui font l’objet du référendum à venir, par exemple, le nom des textes en question est assorti du qualificatif « soi-disant » – au lieu d’employer la terminologie officielle. Dans de nombreux passages, les sources des critiques présentées ne sont pas mentionnées, et on remarque aussi beaucoup de passages qui négligent de présenter le point de vue des partis de gouvernement. Bref : ce rapport reprend le point de vue de l’opposition – il fait preuve de partialité. Un rapport honnête – censé présenter les opinions en présence – doit laisser s’exprimer le point de vue des deux parties. L’image que celui-ci donne des circonstances dans lesquelles les circonscriptions électorales ont été réorganisées est une image tronquée, et leurs affirmations concernant le manque d’équilibre politique dans la presse du pays ne sont pas étayées. Tout cela rappelle plutôt un journalisme de parti pris qu’une évaluation neutre basée sur les faits.

— Mais quant à vous, qu’est-ce qui garantit la neutralité de votre travail?

— Nous avons rappelé un certain nombre de principes de base, que nous nous efforçons de respecter. Ces règles — comme celle de rester neutre, ou de faire preuve d’exactitude quand on tire des conclusions — sont des principes de base qu’on retrouve d’ailleurs dans les documents d’organismes internationaux, comme l’OSCE elle-même, ou encore l’Union européenne. Seuls ceux qui les respectent peuvent prétendre être des observateurs neutres. Nous autres, nous ne sommes pas venus ici pour influencer les processus politiques en cours.

— Qui devez-vous rencontrer ici?

— Nous avons contacté tous les partis politiques, sans exception, la Cour constitutionnelle, les responsables du processus électoral hongrois à divers niveaux, des organismes non-gouvernementaux (ONG), dont — à propos du référendum — les organisateurs de la Budapest Pride. Nous allons rencontrer des représentants de la presse : non seulement de la presse à capitaux hongrois (privés ou d’Etat), mais aussi de ceux des titres qui sont détenus par des étrangers. Nous sommes bien conscients de la polarisation qui règne sur le marché médiatique, ainsi que du fait qu’en Europe, le capital étranger exerce une forte influence sur la presse. Cette influence étrangère est aussi présente dans la politique : en dépit des lois qui, dans de nombreux pays – dont le vôtre – interdisent le financement direct de campagnes électorales depuis l’étranger, nous savons bien que le capital étranger s’efforce de contourner la règle en finançant des ONG qui déploient des activités dans le champ politique.

— Et vous serez reçus?

— Nos rencontres sont encore en cours d’organisation, mais en général, les réponses qui nous parviennent sont positives.

— Certains considèrent que le rapport intérimaire de l’OSCE a pour finalité de préparer des accusations de fraude électorale, pour le cas où les élections du 3 avril reconduiraient la coalition actuellement au pouvoir. Qu’en pensez-vous?

— Il m’est impossible d’avoir une opinion bien arrêtée en la matière, mais ce qui est sûr, c’est que la situation qui s’est créée n’est pas bonne. D’autant plus que les représentants de l’OSCE savaient probablement quel effet leur rapport, rendu public au plus fort de la bataille, allait avoir. Ce qui inspire des doutes concernant leurs intentions premières. Cela fait des années que nous observons comment des organismes internationaux comme l’OSCE pratiquent une discrimination entre « anciennes » et « nouvelles » démocraties – ces dernières se trouvant typiquement en Europe centre-orientale. Leurs missions d’observation sont, ab ovo, conçues comme s’il faillait que quelqu’un prenne soin du développement de la démocratie dans nos pays. Or, typiquement, les organismes internationaux en question, tout en violant à l’occasion leurs propres normes, sapent par leurs activités les positions des Etats de l’Europe centre-orientale, mais prétendent vouloir jouer les sage-femmes dans la naissance de nos processus politiques. Cette attitude d’éducateur est bien entendu compréhensible à l’égard de pays qui organisent actuellement leurs premières, ou deuxièmes élections libres, mais pas à l’égard de pays disposant de traditions constitutionnelles pluriséculaires. Cela, c’est totalement inacceptable. C’est aussi pour cela que nous avons décidé d’être, avec nos juristes et nos experts, nous aussi présents parmi les observateurs internationaux des élections hongroises, de façon à constituer un contrepoids. En conséquence de quoi, nous avons sollicité notre enregistrement auprès du Bureau Electoral National.

— Il y a une semaine, nous avons parlé à Aleksander Stępkowski, porte-parole de la Cour suprême polonaise, en partant des traditions juridiques que vous évoquiez : de la Bulle d’or hongroise – dont on fête justement cette année les huit cents ans – et de la république nobiliaire polonaise ; comment est-il possible que ce soient justement nos pays à nous qui, dans l’Union européenne, ont constamment à affronter de nouvelles controverses sur l’état de droit ? Ce qu’il nous a répondu, c’est que l’opinion de son institution n’intéresse pas tellement ses interlocuteurs bruxellois, qui n’écoutent que leurs amis libéraux. Cela vous surprend-il?

— C’est le professeur de droit Jean d’Aspremont qui, dans l’une de ses études, a abordé le droit international comme un système de croyances. En réalité, les normes sont l’œuvre d’une petite minorité, qui, une fois qu’elle les a définies, les impose aux autres. Il y a quelques semaines de cela, nous autres, à Ordo Iuris, discutions de l’état de droit avec les membres de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (la commission LIBE) du Parlement européen. Nos experts s’étaient préparés à ce débat, concernant la réforme de la justice en Pologne, et aussi d’autres sujets. Chose qui n’intéressait pas le moins du monde la Commission LIBE – dont les membres avaient, en revanche, deux questions à nous poser : d’une part, pourquoi détestons-nous les femmes ; d’autre part, si nous touchons de l’argent du Kremlin ?

— La première question fait peut-être allusion au fait que, en tant qu’organisation chrétienne-conservatrice, vous êtes vivement opposés à l’avortement. Que leur avez-vous répondu?

— (Rire.) Nos cadres et nos collaborateurs sont en majorité des femmes ; quant à la tradition constitutionnelle polonaise, cela fait des décennies qu’elle protège la vie à compter de la conception. Or nous devons tenir compte de nos traditions constitutionnelles nationales. Au lieu de chercher à unifier ces approches divergentes, l’Union européenne devrait admettre cette diversité. Quant à l’accusation liée à la Russie, c’est un reproche dont les conservateurs européens ont déjà pris l’habitude. Or non, ce ne sont pas les Russes qui nous financent – et, à la différence de nombre d’organisations libérales, ce n’est même pas George Soros. Ni même le gouvernement ou les partis politiques de Pologne. Nous fonctionnons exclusivement grâce aux donations mensuelles de vingt mille familles polonaises.

— Les médias mainstream présentent aussi Ordo Iuris comme une organisation anti-LGBTQ…

— Là aussi, l’histoire est intéressante. Ce qui s’est passé, c’est que de nombreuses municipalités polonaises ont adhéré à notre déclaration sur la politique familiale, qui ne fait d’ailleurs même pas allusion aux questions LGBTQ. Du coup, des activistes LGBTQ ont esquissé un « atlas des mouvements anti-LGBTQ », et se sont mis à parler de « no-go zones », où, à les en croire, ils seraient détestés. Pas un mot de tout cela n’est exact, mais c’est là le niveau qu’a aujourd’hui atteint la désinformation, et le mainstream européen y participe. Par ailleurs, la Pologne se trouve être l’un des rares pays européens où l’homosexualité n’a jamais été punie par la loi. Le fait que l’acte lui-même tombe sous les critiques de la morale religieuse chrétienne relève d’un tout autre débat.

— Politico, un magazine libéral basé à Bruxelles, vous a inclus dans son classement des 28 personnalités les plus influentes en Europe – dans la sous-catégorie des rêveurs qui, en tant que « patriarches », font tourner à l’envers la roue du temps en Pologne. Quelle a été votre réaction?

— Ils ont au moins évité de me classer parmi les destructeurs. Mais tout cela participe aussi du dénigrement des conservateurs européens, et du renforcement des stéréotypes qui les concernent. C’est, justement, vers l’avant que nous cherchons à faire tourner la roue du temps, en permettant à notre civilisation de sortir de l’impasse dans laquelle elle s’est engagée du fait d’idéologies comme celle du genre. Quant à l’étiquette sardonique de « patriarche », je ferais remarquer qu’en Pologne, il n’existe pratiquement pas de différence entre hommes et femmes du point de vue des salaires, que c’est chez nous qu’on trouve le nombre le moins élevé d’actes de violence à l’intérieur des familles, mais aussi le taux de dénonciation à la police le plus élevé dans le cas des délits qui sont tout de même commis. Les gens d’Europe de l’Ouest devraient comprendre que l’Europe centrale a sa propre culture sociale. Ils cherchent à nous imposer par la force des solutions — comme, justement, cette idéologie du genre — qui sont apparues en réponse au mauvais fonctionnement de leurs propres sociétés. Si nous trouvons une place dans les classements de Politico ou d’autres titres, la raison en est qu’en ce moment, l’Europe centrale exige qu’on lui restitue le rôle qui lui convient dans la politique européenne.

— Comment l’Alliance pour le Bien commun (représentée en Hongrie par le Alapjogokért Központ [« Centre pour les Droit fondamentaux »]) entend-elle contribuer à ce processus?

— Ce à quoi on assiste constamment, c’est que les institutions de l’Union européenne – y compris la Cour de justice – s’emploient à arracher toujours plus de prérogatives à la souveraineté des Etats-membres. Elles ont inclus la politique de la famille dans cette série d’efforts, chose qui contrevient à la lettre des traités. En réaction à quoi, nous autres défendons les identités constitutionnelles de diverses nations. En nous basant sur nos racines chrétiennes, nous avons réussi à créer un réseau d’organismes de la société civile capable de parler d’une seule voix – y compris dans les controverses sur l’état de droit qui agitent l’Europe. Nous croyons en une Europe des souverainetés nationales, et non en l’idée fédérale.

Photo: Facebook/Jerzy Kwaśniewski

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