– 2021 a été une année mouvementée pour la politique de l’élargissement et du voisinage. Quelles sont vos attentes pour l’année qui commence ? Auriez-vous éventuellement des regrets concernant les résultats de l’année écoulée ?
– L’année écoulée a en effet été des plus denses ; s’agissant de la politique d’élargissement et des Balkans occidentaux, c’est vers la fin 2021 que les choses ont réellement commencé à prendre forme. La présidence slovène de l’UE a organisé en octobre un sommet des Balkans Occidentaux, à l’occasion duquel les Etats-membres de l’Union ont confirmé les perspectives d’adhésion de la région. En outre, des progrès ont aussi été réalisés dans le processus des négociations d’adhésion : avec le Monténégro, nous avons eu une conférence intergouvernementale, tandis qu’avec la Serbie, nous avons pu ouvrir des chapitres de négociation d’une grande importance. C’est aussi en décembre que les Etats-membres ont adopté une déclaration politique sur les conclusions de l’élargissement, document qui, dans les grandes lignes, assigne leurs tâches de 2022 à l’ensemble des Balkans Occidentaux. Mais ce que je considère comme un véritable succès, c’est que nous ne nous contentons plus de parler de l’intégration économico-sociale de la région : sous l’égide de notre plan économique et d’investissement, nous avons réussi à accélérer le processus, si bien que tout cela est déjà réalité. Des bornes ont été posées et franchies, par exemple, sous la forme du début des travaux sur le segment de voie ferrée Belgrade–Niš, ou encore du lancement du projet d’« autoroute de la paix » reliant la Serbie au Kosovo et à l’Albanie. La Commission Von der Leyen a donc commencé la mise en œuvre de sa politique d’élargissement. Pour ma part, je m’attends à ce que, à partir de 2022, l’accent soit mis davantage sur la mise en œuvre que sur la définition de lignes directrices politiques. Quant aux regrets, si je devais en avoir, il est bien évident qu’ils seraient liés au report des négociations d’adhésion de la Macédoine du Nord et de l’Albanie. Dans ce cas, l’obstacle vient d’un problème politique. Comme, entre temps, des alternances gouvernementales ont eu lieu en Bulgarie et en Macédoine du Nord, nous espérons pouvoir dépasser enfin cet obstacle au cours du semestre qui vient de commencer. Mais je tiens à le souligner : en tant que Commission européenne, nous prêtons toute l’assistance qu’il est en notre pouvoir de prêter en vue de définir une solution à la fois pragmatique et politiquement viable, aussi bien pour la Bulgarie et la Macédoine du Nord que pour l’ensemble de l’Union européenne.
– Cela veut-il dire que l’idée de négociations séparées avec la Macédoine du Nord – et éventuellement encore plus tôt avec l’Albanie – n’est plus d’actualité ?
– Ces pays ont tous les deux remplis les conditions fixées en vue du lancement de négociations. Il est donc indiscutable que des négociations doivent être lancées avec l’Albanie et la Macédoine du Nord. Il existe – cela n’a rien d’un secret – une majorité d’Etats-membres qui considèrent que ces deux pays doivent être traités d’un seul tenant.
Pour ma part, j’ai l’impression que, tandis que l’Albanie prend difficilement son mal en patience, on peut s’attendre à une solution rapide de la controverse opposant la Macédoine du Nord à la Bulgarie.
Comme je vous l’ai dit, nous ferons tout pour que des progrès aient lieu, et pour que les négociations commencent au plus vite.
– Dans le domaine de la politique de voisinage, quels sont les résultats que vous voudriez mettre en relief ?
– En décembre dernier, à ma grande satisfaction, le sommet du Partenariat Oriental que nous avons organisé s’est soldé par une réussite. S’agissant de cette région, la Commission européenne a formulé une recommandation politique en faveur du renouvellement de ces relations, et nous avons aussi présenté notre plan d’investissement afférent. Ce dernier peut aussi être considéré comme un instrument complémentaire destiné à la relance après la crise du Covid. Nous constatons de la part du Partenariat Oriental un engagement solide dans le sens de nos recommandations. Ce dont nous avons encore besoin, c’est de la création d’un environnement d’investissement sain, de façon à pouvoir intégrer toujours plus profondément les économies de ces pays à celle de l’Europe. Bien sûr, il y a une autre condition à remplir pour cela, qui est la résorption des déficits constatés en matière d’état de droit, de façon à ce que les entreprises européennes puissent planifier leur avenir dans cette région non seulement à court terme, mais aussi à moyen et long terme.
S’agissant des Etats du Sud, nous avons là aussi produit des plans destinés à stimuler la coopération économique. Dans leur cas, la coopération en matière de migrations illégales constitue un autre dossier de grande importance. Dans ce contexte, notre proposition socio-économique implique aussi que nous attendions d’eux de pouvoir collaborer dans le domaine de l’immigration clandestine. Nous accordons à cette région une assistance considérable, mais qui nous amène aussi à exiger d’elle des résultats tangibles. Dans l’ensemble, je suis donc aussi optimiste concernant la politique de voisinage que s’agissant de la politique d’élargissement ; cette année aussi, j’espère que nos résultats en diront par eux-mêmes assez long.
– Nombreux sont ceux qui ne partagent pas cet optimisme, affirmant au contraire que la présidence actuelle, qui revient à la France, est sceptique en matière d’élargissement. Entre temps, on a, de plus, assisté au départ de la chancelière allemande Angela Merkel, qui était l’un des principaux avocats de l’importance géostratégique de l’intégration des Balkans Occidentaux.
– Ce sont là des présupposés que je ne partage pas, et considère plutôt comme des idées stéréotypées. L’attitude des Français a beaucoup évolué ces derniers temps : le président français lui-même a accordé aux Balkans Occidentaux une place de choix lorsqu’il a rendu public son programme pour la présidence tournante. Je crois que c’est lié au fait que la Commission à laquelle j’appartiens a adopté une nouvelle méthodologie d’élargissement, en présentant un très ambitieux programme de redressement économique. De cette façon, on peut dire que nous avons rendu la politique d’élargissement crédible aux yeux des Français. Ce que je vois maintenant, c’est une France qui montre un véritable intérêt pour le projet, et j’en veux pour preuve que c’est pendant ce semestre de la présidence française que sera organisé un congrès des Balkans Occidentaux. S’agissant du nouveau gouvernement allemand, il est rassurant de constater qu’il a clairement indiqué dans son programme que l’élargissement aux Balkans continuerait à être traité comme une priorité. Ensuite, il faudra voir ce que tout cela va signifier en pratique. Pour ma part, je m’attends à ce que Berlin maintienne son soutien au processus d’élargissement. A mon avis, il est dans l’intérêt bien compris de l’Allemagne que cette dernière ne change pas de position en la matière.
Bosnie-Herzégovine : tout ce qu’on peut lire sur le Commissaire n’est que fake news
– En Bosnie-Herzégovine, début décembre dernier, les Serbes de Bosnie ont décidé par votation de s’attribuer certaines des prérogatives qui sont actuellement celles des institutions fédérales ; et dimanche dernier, ils ont provoqué l’émoi en célébrant leur fête nationale, qui ravive pour les autres entités du pays le souvenir des horreurs de la guerre. A quel point l’instabilité actuelle vous inquiète-t-elle ?
– La Bosnie-Herzégovine traverse effectivement un moment difficile. Le souci que je vois, c’est que cette période critique n’est pas le résultat de facteurs externes. Ce sont très clairement des problèmes internes qui attendent une solution : si le pays est aujourd’hui au bord de l’explosion, c’est en raison de motifs relevant de la politique intérieure. Et cela représente un défi de sécurité pour les Balkans Occidentaux, et même pour l’Europe tout entière. C’est pourquoi tout le monde – les trois communautés et leurs dirigeants – doivent travailler à ce que leur pays se mette à regarder vers l’avenir, à fonctionner et à renforcer, par cela même, sa cohésion interne. Comme je l’ai déjà fait de nombreuses fois, j’aimerais leur lancer à tous un appel, pour les inciter à garantir le bon fonctionnement des institutions de la Bosnie, de la présidence et des gouvernements. Grâce au plan économique et d’investissement de l’Union, la Bosnie-Herzégovine, sur le chemin de l’intégration, se trouve devant une opportunité incomparable, et dont il se peut qu’elle ne se représente plus à l’avenir. Si les autres pays de la région devaient saisir cette chance, et la Bosnie la rater, cela pourrait avoir des conséquences incalculables. S’agissant des célébrations à connotations nationalistes, je ne crois pas qu’elles contribuent à améliorer l’ambiance. Il se pose par ailleurs dans la Fédération des problèmes qui n’affectent pas spécifiquement la République des Serbes de Bosnie, mais qu’il serait temps de régler.
– Il y a-t-il un fond de vérité dans les nouvelles répandues par la presse à propos des négociations que vous auriez menées l’année dernière avec le leader des Serbes de Bosnie, Milorad Dodik ? Je pense aux articles qui affirment que vous auriez approuvé l’idée d’une sécession de l’entité serbe, quittant les institutions fédérales.
– Tous les articles de ce genre sont des fake news.
Ma position en la matière est claire et conséquente, et je viens de l’exprimer. Quand je suis arrivé en Bosnie-Herzégovine en novembre de l’année dernière, j’ai commencé par émettre un communiqué de presse, après quoi, au terme de mon voyage officiel, j’ai repris la même déclaration. Qui plus est : la délégation de l’Union européenne dans ce pays a, elle aussi, publié une prise de position identique.
Ce que nous attendons des Serbes de Bosnie, c’est qu’ils réintègrent le gouvernement, le parlement, et recommencent à participer aux travaux de la présidence. Il n’est pas dans l’intérêt de la Bosnie-Herzégovine, ni même de la République serbe de Bosnie de perpétuer cette séparation, ni de rendre impossible le travail des institutions. Et tout cela, je l’ai dit très clairement à monsieur le président Milorad Dodik.
– Que dites-vous de cette déclaration récente de la Cour des comptes européenne, qui affirme que, pour l’instant, dans les Balkans Occidentaux, les transferts de l’Union n’ont eu que peu d’influence sur les réformes concernant l’état de droit ?
– Le contenu de cette déclaration ne m’a pas surpris : j’étais préalablement arrivé moi-même aux mêmes conclusions. Permettez-moi d’insister sur ce point : c’est bien pour cette raison que nous avons eu besoin de la nouvelle méthodologie d’élargissement mise en œuvre à partir de 2019 par la Commission européenne. Dans cette dernière, un rôle central revient à la question de l’état de droit : tout progrès dans le processus d’élargissement en est rendu dépendant.
Pour chaque pays à part, nous examinons simultanément les résultats obtenus dans les divers domaines, mais les progrès constatés dans le domaine des réformes tenant à l’état de droit constituent eux aussi une condition sine qua non.
Ces deux points de vue vont de pair. Prenons l’exemple serbe : l’ouverture de nouveaux chapitres d’adhésion a été rendue possible non seulement par les progrès sectoriels et les plans afférents à la transposition de l’acquis communautaire, mais aussi par les réformes de la justice et de la loi électorale opérées par le gouvernement serbe. Dans ce domaine, auparavant, de longues années s’étaient écoulées sans le moindre progrès. Comme les changements ont maintenant eu lieu, et que les Etats-membres peuvent eux aussi constater des résultats clairs, les Serbes ont reçu notre feu vert.
Les élections hongroises comme sujet de discussion au sein de la Commission
– Certains organes de presse de Bruxelles voient d’un mauvais œil que le Commissaire proposé par la Hongrie « ose parler » de l’état de droit dans les Balkans Occidentaux. Cette attitude vous dérange-t-elle ?
– C’est là un problème dont l’examen ne peut pas se faire en fonction de critères ethniques. Mais j’irai plus loin : ceux qui expriment des opinions de ce genre ne font pas preuve d’une attitude européenne. Des tâches me sont assignées, et je m’efforce de m’en acquitter au mieux de mes capacités. Et ce, indépendamment de l’Etat dont je suis citoyen. Le contenu de ma lettre de créance n’est pas ambigu, et, quand il s’agit des Balkans (de l’Est, du Sud ou de l’Ouest), nous avançons aussi en fonction de critères clairs. Les résultats qu’ils obtiennent ne tiennent en rien à ma personne ou à mon ethnicité. Mon travail, c’est de créer des incitations en faveur de l’obtention de ces résultats, et de faire en sorte que chacune des trois sous-régions comprenne les avantages d’un travail en commun.
– Au sein de l’administration de la Commission, on parle des élections hongroises qui s’approchent ?
– Comme je vous l’ai dit, je suis suffisamment occupé par les tâches afférentes à mon portefeuille ; malgré tout, dans les conversations de couloir, je me rends compte que beaucoup s’intéressent à ce sujet. On me pose des questions : qui est en lice, quelles sont les chances des uns et des autres, etc.. En revanche, on ne me demande guère « qui soutient qui ». Il est néanmoins évident que, d’un point de vue politique, ce scrutin hongrois sera un événement déterminant pour l’Europe. Tout le monde a les yeux rivés sur ce qui est en train de se produire en Hongrie.