ÉTATS-UNIS D’AMERIQUE
– La vidéo que vous avez réalisée avec des étudiants californiens et des mexicains a fait sept millions de vues : les uns trouvaient à redire à la façon mexicaine de s’habiller, les autres la trouvaient à leur goût. Autre vidéo : dans un parc de New York, vous demandez aux flâneurs s’ils ont des amis républicains – recevant des réponses unanimement négatives. Pourquoi jugez-vous ce genre de vidéos nécessaire pour secouer la droite américaine ?
– Dans le camp conservateur, nombreux sont ceux que les politiciens du Parti républicain ont déçus, qui trouvent qu’ils ont perdu toute crédibilité, et qui n’ont plus l’impression que leurs intérêts seraient défendus par ces derniers. Et c’est un fait : parmi eux, les hommes authentiques et crédibles sont une rareté. Certains acceptent par exemple les subsides de Google, alors même que ce géant technologique limite la liberté d’expression. Quand je sors tourner une vidéo, je veux modifier la façon de penser des gens.
– Quel est le secret de votre réussite ?
– Le secret de la plateforme média sur laquelle je travaille, PragerU, c’est de s’engager en faveur des valeurs conservatrices. Nous constituons un média non-lucratif, nous nous défendons de dicter aux gens leurs choix électoraux, mais nous avons un réel impact. D’après nos estimations, soixante-dix pour cent de nos utilisateurs déclarent que nos contenus influencent leur comportement électoral ultérieur. Ce qui est d’ailleurs compréhensible : quand je place un candidat sous ma loupe, moi aussi, je cherche par exemple à savoir si c’est une personnalité religieuse et crédible. Or telles sont les valeurs que PragerU promeut.
– Quand on pense aux conservateurs américains, on s’imagine plutôt des personnes âgées jouant au scrabble qu’un jeune type à casquette de baseball portée à l’envers qui fait des vidéos sur la voie publique. Vous êtes né dans une famille de droite ?
– Pas du tout : je viens d’un milieu libéral athée. C’est à l’université que les choses ont changé, devant les excès de l’intolérance gauchiste. C’est à cela que je dois d’être devenu un conservateur, de m’être mis en contact avec les républicains du Colorado et avec PragerU, pour changer le statu quo. Ces temps-ci, nombreux sont les jeunes conservateurs qui font carrière dans les médias, mais la politique aurait, elle aussi, besoin de nouveaux visages. Ça a l’air une blague : nous avons l’armée et l’économie les plus puissantes du monde, mais nos dirigeants ne sont pas capables d’articuler une phrase sensée.
– Et à l’Université du Colorado, c’était quoi, le problème ?
– Même la gauche reconnaît qu’elle est devenue hégémonique dans l’enseignement supérieur américain. Les enseignants des universités d’Etat sont sympathisants démocrates à hauteur de 92%, et, comme si cela ne suffisait pas, par-dessus le marché, ils vont encore, secondés par leurs assistants, faire de la propagande dans les salles de cours. Ils incitent leurs étudiants à devenir eux aussi des activistes.
– Et comment avez-vous réagi à cela ?
– J’ai laissé tomber la fac. J’ai déménagé à Los Angeles, qui est certes une ville affreusement libérale, mais c’est là que j’ai trouvé du travail chez PragerU. Je sentais qu’il fallait que je fasse quelque-chose, et c’est cette plateforme qui m’en a donné l’occasion.
– Prenant la parole à un événement du Danube Institute, vous avez parlé, à propos de la gauche américaine, d’une sorte de religion. Pourquoi ?
– L’Amérique a énormément changé ces derniers temps. Le pays dans lequel j’ai grandi a depuis lors déjà sombré dans l’oubli. Et la raison en est la transformation du gauchisme en religion. Comme en général en Occident, le christianisme recule, et c’est la pensée gauchiste qui vient occuper la place laissée vacante. Au tournant du millénaire, 79% des Américains allaient encore à l’église – aujourd’hui, nous ne sommes plus que 49%. Or les gens n’en ont pas moins besoin d’une chose qui donne du sens à leur vie. C’est le rôle désormais dévolu à la lutte contre le changement climatique, à l’hystérie covidiste, au mouvement Black Lives Matter, à la cause LGBTQ et aux absurdités transgenres.
– Vous-même, vous allez à l’église ?
– Oui, j’ai été baptisé il y a un an.
– Une révélation tardive ?
– On peut dire ça. Mais mieux vaut tard que jamais. C’est la meilleure décision que j’ai prise de ma vie. J’ai eu la sensation que c’était ce que je devais faire.
– Aujourd’hui, quels sont vos rapports avec le camp adverse ? Comme en témoignent – entre autres – vos vidéos, le précipice séparant l’Amérique conservatrice de l’Amérique libérale est devenu gigantesque.
– Je dispose d’un avantage de situation, qui est l’entourage libéral dont je suis issu, et qui fait que je comprends mieux que d’autres comment et pourquoi les gens pensent comme ils pensent. C’est un point de vue qu’ont du mal à adopter ceux qui ont vécu toute leur vie dans la peau d’un chrétien conservateur. Alors que moi, je dois à cette compréhension héritée de mon passé la réussite d’un bon nombre de débats. C’est d’ailleurs aux stratégies de persuasion en rapport avec cette situation qu’est consacré – entre autres – le livre que j’ai écrit sous le titre « Comment se faire des amis et influencer ses ennemis ? » (How to Win Friends and Influence Enemies). Malgré tout, il reste possible de dialoguer par-delà cette ligne de crête, mais il faut bien préparer ses questions.
– Quel sera le facteur déterminant de la prochaine élection présidentielle aux Etats-Unis ?
– La gestion de l’épidémie de coronavirus – cela ne fait pour moi aucun doute. Qui comprend aussi le style de communication choisi par nos hommes politiques en rapport avec cet événement.
– Pensez-vous que Donald Trump va vraiment se représenter ? Et si oui : va-t-il gagner ?
– Oui, vu la tournure que prennent les événements, je pense qu’il va à nouveau se lancer dans la course. Certaines de ses déclarations n’ont pas eu un franc succès chez les conservateurs, ce qui fait qu’il a perdu un certain nombre de partisans. Il n’est pas actuellement à son niveau de 2016 ou de 2020. Mais compte tenu du handicap qu’inflige aujourd’hui au pays le système Biden, je pense que Trump a des chances de gagner.
– C’est quoi, le problème avec Biden ?
– C’est qu’il est le plus mauvais président que nous ayons eu de toute notre histoire : ses indices de popularité sont épouvantables. Dans la plupart des cas, il ne sait même pas où il se trouve. Mais sa vice-présidente, Kamala Harris, n’est pas mieux : tout le monde la déteste. Personne ne réussit à se faire aimer juste en étant une femme noire qui s’est érigée contre la domination des hommes blancs. Ce qui intéresse les gens, de nos jours, c’est de savoir ce qu’ils peuvent garantir à leur famille : s’ils ont du travail ou non. En Amérique, la criminalité a d’ores et déjà crevé tous les plafonds, et les cas de coronavirus se multiplient eux aussi. L’inflation bat des records. Ils ne tiennent pas leurs promesses, tout a empiré. Aujourd’hui, Biden a la majorité contre lui – même si cette majorité n’est pas forcément passée du côté des Républicains. Harris, qu’on veut substituer à Biden, négocie de-ci, de-là, en secret, avec Hillary Clinton. Elle n’a qu’à continuer : c’est la recette de la défaite garantie !
– D’après vos impressions, en quoi nous autres les Hongrois différons-nous des Américains ?
– Je pense qu’un pays qui a traversé le communisme regarde le monde d’un autre œil. Ici, on sait apprécier des choses auxquelles l’Amérique n’accorde pas assez de prix, parce que là-bas, on n’a jamais eu à vivre sous une tyrannie et dans d’ingrates conditions de vie. Les Hongrois montrent d’ores et déjà l’exemple aux conservateurs américains : sous la conduite de Viktor Orbán, ils ont considérablement avancé dans la bonne direction. Si seulement nos conservateurs à nous pouvaient eux aussi avoir la force d’en entreprendre autant ! En matière, par exemple, de protection de l’enfance et de contenus médiatiques homoérotiques. Nous aurions bien des leçons à en tirer. Si la Hongrie peut se maintenir dans cette voie, je ne vois pas pourquoi elle ne deviendrait pas le centre du monde côté conservateur.
Photo: Will Witt Conservateur de la grippe américaine (Photo : Máté Bach)