Lettre ouverte au chancelier allemand : la communauté juive de Hongrie vous demande de prendre position sans tenir compte des affiliations politiques

« La lutte contre l’antisémitisme doit rester au-dessus des engagements partisans, que ce soit en Hongrie ou en Allemagne » — écrit le rabbin Slomó Köves.

LÁSZLÓ SZŐCS
2022. 03. 06. 19:14
KÖVES SLOMÓ Fotó: MTI/Balogh Zoltán Forrás: MTI
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« La lutte contre l’antisémitisme doit rester au-dessus des engagements partisans, que ce soit en Hongrie ou en Allemagne » — écrit le rabbin Slomó Köves dans la lettre ouverte qu’il a adressée à Olaf Scholz. Chef de la Fédération des Juifs hongrois, Köves, réagissant aux déclarations judéophobes de Péter Márki-Zay et de Márton Gyöngyösi, pose cette question au chancelier allemand : « De telles choses seraient-elles concevables chez vous ? » Nous avons demandé à la chancellerie allemande de prendre position sur cette lettre, et tiendrons nos lecteurs informés d’une éventuelle réponse.

« Le fait que la coalition de gouvernement au pouvoir en Allemagne ait parfois une vision critique du gouvernement hongrois actuel ne devrait pas l’amener à signer un chèque en blanc en matière d’antisémitisme à une coalition comme celle qui, à l’issue des prochaines élections hongroises, souhaiterait former un gouvernement d’alternance. Se montrer conséquent, c’est, à mon sens, lutter contre toutes les manifestations de l’antisémitisme, pas uniquement contre celles qui émanent des rangs de nos adversaires politiques. »

– peut-on lire entre autres dans cette lettre ouverte que le rabbin Slomó Köves, qui dirige la Communauté israélite unie de Hongrie (Egységes Magyarországi Izraelita Hitközség – EMIH) – Fédération des Juifs hongrois (Magyar Zsidó Szövetség), a adressée au chancelier allemand Olaf Scholz.

Encore datée de février, cette lettre a été publiée jeudi sur le site en langue allemande de la Jüdische Rundschau. Köves y affirme avoir décidé de s’adresser à Scholz, ainsi qu’à l’opinion publique allemande et à la communauté juive d’Allemagne, en raison du fait que l’Allemagne a, par le passé, « tracé des lignes rouges » en matière d’antisémitisme. Or il considère qu’à présent, « il est devenu impossible de distinguer certains acteurs de la vie publique hongroise, dans leur inconséquence, d’avec la forme de duplicité qu’on constate – entre autres – en Allemagne. »

« L’inconséquence qui se fraye un chemin dans l’attitude allemande actuelle tend à compromettre dans l’Europe tout entière les chances de réussite d’une lutte contre l’antisémitisme qui prenne la forme d’une cause commune placée au-dessus des intérêts politiques du moment. »

Il voit une mauvaise nouvelle, non seulement pour l’Allemagne, mais pour l’Europe tout entière, dans le fait que, ces dernières années, des fissures soient apparues dans la conséquence avec laquelle l’antisémitisme est combattu dans une Allemagne où, jusqu’alors, cette cause reposait sur un socle inébranlable.

« Et pourtant, auparavant, l’Allemagne avait pendant des décennies administré la preuve constante de son engagement en faveur des communautés juives d’Europe, s’était donné pour mission l’octroi d’un soutien sans limites à Israël et prenait en permanence position, avec beaucoup de conséquence, contre toutes les formes de l’antisémitisme.

Réagissant aux déclarations publiques récentes de Péter Márki-Zay, candidat de l’opposition de gauche à la fonction de Premier-ministre, Slomó Köves, dans sa lettre ouverte, a aussi posé quelques questions au chancelier allemand, dont la coalition de gouvernement socio-démocrate-verte-libérale appartient aux mêmes familles politiques européennes que la gauche hongroise, et siège avec elle dans les mêmes groupes parlementaires du Parlement européen. Il demande, par exemple :

« Serait-il, en Allemagne, concevable que la tête de liste d’une coalition d’opposition soupèse en public la proportion de membres d’origine juive dans un parti de gouvernement, ou encore fasse allusion à un conseiller dudit parti (en Hongrie, en l’occurrence : le Fidesz) – mort il y a des années de cela – en le décrivant comme ‘un conseiller juif homophobe vivant marié à un homme’ ? »

(La lettre de Köves ne mentionne pas non plus son nom, mais il est fort probable que Márki-Zay ait voulu parler du conseiller de campagne Arthur Finkelstein, citoyen américain.)

Cette question rhétorique que le rabbin Köves pose au chef du gouvernement allemand, il la pose, entre autres, au sujet des propos tenus par Márki-Zay lors du forum électoral de Fonyód [petite ville de la rive sud du lac Balaton – n.d.t.]. On se souvient que le candidat de la gauche à la fonction de Premier-ministre – y prenant la parole pour soutenir la candidature d’Ádám Steinmetz, issu du Jobbik – a expliqué que la coalition à laquelle il appartient est une « coalition arc-en-ciel », au sein de laquelle sont séparément représentés des libéraux, des communistes, des conservateurs et des fascistes. Au cours de cet événement, Márki-Zay a d’ailleurs ajouté à cela que tous ceux qui ont une colonne vertébrale restent fidèles à leur propre vision du monde.

Renvoyant aux propos tenus en 2012 par Márton Gyöngyösi, du Jobbik, Köves pose, de même, la question : « En Allemagne, serait-il concevable qu’un député appartenant à un parti totalisant 16% des scrutins, en session plénière du Parlement, s’exprime de la façon suivante : ‘Le moment est venu de déterminer combien de gens d’origine juive vivent chez nous, et notamment combien siègent ici, au Parlement hongrois, et au gouvernement, représentant pour la Hongrie, dans une certaine mesure, un risque de sécurité nationale’ ? »

« Dans votre pays, serait-il possible que ce même homme, neuf ans plus tard, soit toujours vice-président de son parti, et s’apprête à assumer des fonctions importantes dans une coalition électorale d’opposition incluant des partis de gauche et des libéraux ? »

La lettre évoque aussi les sondages qui mesurent le niveau d’antisémitisme, entre autres, en Allemagne et en Hongrie, mais Köves remarque au passage qu’il faut en même temps préciser « qu’on ne peut pas juger de la situation en se basant exclusivement sur les résultats de telles enquêtes, car il faut tenir compte du contexte de chaque pays ». En effet, s’il est vrai qu’en Hongrie, le nombre de ceux qui assument avoir des opinions antisémites dépasse de 20% le chiffre correspondant mesuré chez les Allemands, en revanche, en Hongrie, le total des délits antisémites commis en 2020 est de 34, alors qu’il est de 2275 en Allemagne.

A propos de sa lettre ouverte à Scholz, dans l’entretien qu’il a confié au site hongrois à thématique juive Neokohn, Slomó Köves affirme que : « Dans une certaine mesure, je vois un parallèle entre la vie publique allemande et la nôtre, et c’est sur ce parallèle que j’aurais voulu attirer l’attention des acteurs de la vie publique allemande, et notamment ceux de la vie publique juive allemande : alors même que les ténors de la politique réaffirment déclarativement leur engagement en faveur des communautés juives, des calculs politiciens les amènent à très complaisamment fermer les yeux sur des déclarations anti-israéliennes, sans même parler de la dégradation sensible des conditions de sécurité de la communauté juive. S’il devient possible de remettre en question la cohérence de la politique allemande, cela peut avoir des conséquences allant très loin. La lutte contre l’antisémitisme doit rester au-dessus des engagements partisans, que ce soit en Hongrie ou en Allemagne ».

FOTO: SLOMÓ KÖVES (FOTO KREDIT: MTI/Balogh Zoltán)

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