– Dans l’Occident actuel, il règne, d’une part, un bien-être extrême, qui pousse à l’« indifférentisme » – c’est-à-dire qu’une sorte d’indifférence s’est installée entre les individus qui composent la société. D’autre part, à la prédominance d’une image de soi axée sur l’idéal de l’épanouissement du moi intérieur. Ce qui peut bien sûr être une bonne chose, mais une bonne chose qui rend secondaire tout le reste de l’univers. Or ce moi intérieur, qui depuis Rousseau devient de plus en plus déterminant, peut désormais s’opposer, non seulement aux normes sociales, mais même à notre propre biologie. Depuis le début du XXe siècle – en gros, depuis Freud –, l’identité personnelle tourne de plus en plus autour de la différence sexuée et de la sexualité. Ces dernières sont, bien entendu, des éléments essentiels de notre humanité, mais des éléments aujourd’hui hypostasiés, comme si plus rien d’autre n’avait d’importance. Au moyen-âge, l’honneur représentait un élément important de l’image de soi : c’est lui qui justifiait qu’on soit reconnu par la société, et on pouvait le perdre. Il a été remplacé par la dignité humaine, que, dans son interprétation actuelle, la société a l’obligation de reconnaître automatiquement : du moment que nous ne reconnaissons pas automatiquement la dignité humaine de quelqu’un, nous nions son humanité. Alors même que tout devient construit social, les droits de l’homme et la dignité humaine, pour des raisons mystérieuses, font exception à la règle. Notre personnalité, notre appartenance sexuelle – disent-ils – sont des constructions sociales, mais nos droits et notre dignité nous sont innés. C’est incompréhensible pour tout le monde. A quoi s’ajoute une vision de l’histoire teintée de marxisme : l’histoire comme combat entre les oppresseurs et les oppressés.