Gergely Szilvay: nous avons besoin d’une contre-révolution anthropologique

Comment l’Occident est-il devenu le vivier des mouvements LGBT? A quel moment le féminisme a-t-il donné naissance à une idéologie extrémiste? Existe-t-il une forme correcte de la théorie du genre ? Nous avons discuté de tout cela avec le publiciste Gergely Szilvay, qui publie un livre intitulé A genderelmélet kritikája (« Critique de la théorie du genre ») aux éditions de l’institut Alapjogokért Központ.

Krisztina Kincses
2021. 05. 14. 10:20
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Szilvay Gergely Mandiner Mandiner Főmunkatársa 20210421 Budapest Fotó Bach Máté Magyar Nemzet Fotó: BACHPEKARYMATE
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– Votre dernier ouvrage, publié en 2016, était intitulé A melegházasságról (« Sur le mariage homosexuel »). Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce nouvel ouvrage ?

– J’ai toujours eu dans un coin de ma tête l’idée qu’il faudrait écrire un tel ouvrage, mais, quand j’ai écrit mon livre consacré au mariage homosexuel, je pensais que c’était le dernier livre que je consacrais à ce sujet, et que, à supposer que le besoin de tels textes se fasse sentir en Hongrie, on traduirait tel ou tel titre de la littérature en anglais portant sur ce domaine. Seulement, je n’ai rien trouvé de tel sur le marché. La littérature rédigée en langues de circulation internationale se pose ce problème, mais plutôt à titre d’élément d’une réflexion plus large, comme, par exemple chez Douglas Murray (La grande déraison) ou chez Charles Murray (Human Diversity). Non seulement je n’ai pas trouvé dans la littérature existante de monographie faisant réellement le tour de la question tout en l’abordant d’un point de vue critique, mais je me suis – qui plus est – retrouvé avec beaucoup de matériel en vue d’écrire mon propre texte. Mais l’impulsion décisive m’a été donnée par un article mis en ligne par un portail d’information au cours du second semestre de 2019, consacré à une affaire de transgenres, et dont l’auteur, sur le ton d’un appel à l’aide, se demandait jusque quand il faudrait attendre pour que quelqu’un vienne enfin mettre de l’ordre dans cette histoire. C’est à ce moment que j’ai pris la résolution de tenter, avec un niveau d’exigence scientifique mais dans un langage accessible, d’exposer la structuration des principaux aspects de cette problématique, à l’usage d’un public pouvant inclure des lecteurs qui n’en sont pas familiers, mais aimeraient bien savoir de quoi il en retourne.

– On peut donc dire que votre livre comble une lacune.

– Cela faisait déjà plusieurs années que j’avais l’impression que nous autres, gens de droite, d’esprit conservateur, savons certes tous que l’approche correcte est la nôtre, mais que beaucoup manquent d’assurance dans le débat, étant donné que la partie adverse semble disposer d’arguments de prime abord convaincants, qu’il a d’abord fallu analyser, pour ensuite leur apporter, un par un, notre démenti. Accessoirement, dans toute une série de domaines – allant de l’adoption à la réorientation sexuelle, en passant par le débat « environnement social ou conditionnement biologique ? » –, il n’est pas inutile de prendre connaissance des résultats des recherches scientifiques existantes, qui peuvent fournir de bonnes bases d’argumentation. Au début, c’est un peu sous l’effet d’un sentiment d’indignation que j’ai commencé à m’occuper de cette question : je ne comprenais pas pourquoi nous restons incapables de dire précisément ce qui cloche dans l’idéologie du genre, et j’ai eu le sentiment qu’il fallait combler cette lacune. Bien sûr, cette incapacité est aussi liée au fait que les « savants du genre » s’en prennent souvent aux évidences les plus élémentaires de la vie, et que d’ordinaire, nous autres, gens du quotidien, ne sommes pas obsédés par la défense des évidences. C’est aussi à ce genre d’attaques contre les évidences – souvent capables de nous perturber – que je souhaite répondre par ce livre.

– Un sondage récent commandité par l’institut Alapjogokért Központ montre que, pour 66% des Hongrois, il n’existe que deux sexes : les hommes et les femmes. A votre avis, comment peut-on expliquer le fait que, quand on voyage d’Est en Ouest, l’ampleur du terrain gagné par les diverses mouvances et lobbies LGBT ne fait que croître ?

– Pour reprendre l’expression de Márton Békés, ici, nous profitons encore des « avantages de l’arriération ». La question qu’il faut se poser, c’est : sommes-nous à présent sur une autre voie que celle sur laquelle avance l’Occident, ou bien sommes-nous juste un peu en retard, mais en partance pour la même destination ? Pour ma part, je suis un peu sceptique : j’ai l’impression que la droite ne fait pas assez de travail de terrain – c’est-à-dire qu’elle ne s’efforce pas assez de renforcer le système immunitaire de la société, alors même que, le temps passant, le « bien-être » occidental finira bien par arriver en Hongrie, après quoi ces idéologies très populaires en Occident jouiront elles aussi d’un plus fort pouvoir d’attraction sur la société locale. Dans la deuxième édition augmentée de mon livre – qui ne va pas tarder à paraître –, il y a un chapitre à part, entièrement consacré à cette question : pourquoi cette idéologie dispose-t-elle d’un pouvoir de conviction aussi fort ? Je me réjouirais de voir l’Europe centrale – traditionnellement toujours un peu malmenée par l’historiographie occidentale – rester un îlot de paix, refusant de suivre l’Occident dans cette course progressiste à la haine de soi et à l’auto-anéantissement.

– Cela voudrait dire que c’est en Occident que l’idéologie du genre, avec toutes ses outrances, a trouvé le terrain le plus propice à son épanouissement ?

– Dans l’Occident actuel, il règne, d’une part, un bien-être extrême, qui pousse à l’« indifférentisme » – c’est-à-dire qu’une sorte d’indifférence s’est installée entre les individus qui composent la société. D’autre part, à la prédominance d’une image de soi axée sur l’idéal de l’épanouissement du moi intérieur. Ce qui peut bien sûr être une bonne chose, mais une bonne chose qui rend secondaire tout le reste de l’univers. Or ce moi intérieur, qui depuis Rousseau devient de plus en plus déterminant, peut désormais s’opposer, non seulement aux normes sociales, mais même à notre propre biologie. Depuis le début du XXe siècle – en gros, depuis Freud –, l’identité personnelle tourne de plus en plus autour de la différence sexuée et de la sexualité. Ces dernières sont, bien entendu, des éléments essentiels de notre humanité, mais des éléments aujourd’hui hypostasiés, comme si plus rien d’autre n’avait d’importance. Au moyen-âge, l’honneur représentait un élément important de l’image de soi : c’est lui qui justifiait qu’on soit reconnu par la société, et on pouvait le perdre. Il a été remplacé par la dignité humaine, que, dans son interprétation actuelle, la société a l’obligation de reconnaître automatiquement : du moment que nous ne reconnaissons pas automatiquement la dignité humaine de quelqu’un, nous nions son humanité. Alors même que tout devient construit social, les droits de l’homme et la dignité humaine, pour des raisons mystérieuses, font exception à la règle. Notre personnalité, notre appartenance sexuelle – disent-ils – sont des constructions sociales, mais nos droits et notre dignité nous sont innés. C’est incompréhensible pour tout le monde. A quoi s’ajoute une vision de l’histoire teintée de marxisme : l’histoire comme combat entre les oppresseurs et les oppressés.

– A première vue, nous autres Hongrois, avec ces 66% que vous avez mentionnés, nous trouvons dans une position relativement privilégiée.

– 66%, oui, c’est assez bien : une majorité des deux tiers – comparés à l’Occident, tout du moins, nous sommes bien placés. C’est une position d’où la victoire reste possible : on peut encore faire marche arrière. Cependant, le mouvement LGBT tout entier attaque en force, et ceux qui seraient capables d’agir contre lui en ont peur. Ils ont peur pour leur travail, pour leur réputation, peur qu’on leur efface tous leurs tweets envoyés depuis des années. Les militants du mouvement LGBT se présentent toujours comme des gens ouverts, gentils, tolérants, mais la réalité, c’est qu’ils intimident une bonne partie de la société. Ils se présentent comme des rationalistes, et sont en réalité parfaitement irrationnels : ils professent des tautologies, du type « une famille est une famille », alors que ce slogan, par exemple, signifie le contraire exact de ce qu’il pourrait sembler suggérer. C’est comme si je vous disais qu’« une table est une table », en cherchant par là à faire admettre qu’une table bancale a la même valeur qu’une table intacte, et qu’une chaise peut d’ailleurs tout aussi bien devenir table, si elle en a envie. C’est une communication manipulatrice, qui nous pousse sur le terrain des émotions – une stratégie consciente, apprise et parfaitement mise au point. Et qui n’a pas grand-chose à voir avec la rationalité.

– Comment en est-on arrivé là en partant des aspirations initiales du féminisme ?

– Le fait que le sigle LGBT soit devenu une expression commune du débat public suffirait en soi à montrer le grotesque de la chose. De tout ce que j’ai vu jusqu’à présent, je retire l’impression que les expressions artificielles et farfelues sont là pour couvrir des représentations farfelues et artificielles. On raccorde la théorie du genre à la deuxième vague du féminisme, qui est apparue vers le milieu du XXe siècle. Elle consiste pour l’essentiel à nier l’importance du biologique et à en ignorer les conséquences. C’est la thèse centrale, celle qui permet de séparer les rôles de genre de la biologie, du moment qu’on se met à considérer notre existence corporelle comme un simple monceau de matière. Alors même qu’en réalité, chacune de nos cellules est une cellule masculine chez l’homme, féminine chez la femme, que notre structure osseuse est féminine ou masculine, de même que le cerveau masculin ne fonctionne pas comme le cerveau féminin. La séparation de l’âme et du corps, qui est devenue l’image de l’humain promue par le féminisme, a fait l’affaire du mouvement gay, et à présent, c’est le mouvement trans qui, en en inversant les termes, en profite. Ou si vous préférez : le mouvement trans a mis sens dessus dessous le féminisme comme Marx l’avait fait avec la philosophie de Hegel.

– Comment en sommes-nous arrivés à cette situation présente dans laquelle il faut prendre parti pour la défense de la normalité ?

– A mon avis, c’est la modernité tout entière qui part d’une conception de base erronée : celle qui considère qu’il est possible, au nom de notre liberté et de notre confort individuels, de déconstruire les catégories de base du monde. C’est cette conception que la postmodernité a radicalisée. L’idéologie du genre tout entière est un phénomène très viscéral, fondé sur un effet intuitif, nettement irrationnel, et il est difficile de réagir à de telles pressions de façon réfléchie. Les adeptes de cette théorie ont un principe selon lequel toute régularité qui ne serait pas vérifiée en tout point de l’univers et en tout temps doit être déclarée totalement nulle. Ils cherchent à donner à toute chose une définition extrêmement rigide – par exemple : aux rôles de genre, et pour peu qu’ils ne trouvent pas de rôles de genre rigoureusement identiques à travers le temps et l’espace, ils vont aussitôt les déclarer relatifs en tant que produits de telle ou telle culture. Chez eux, la plus insignifiante des exceptions démolit complètement toute règle. Du coup, la normalité même devient à son tour un produit culturel, placé au service de telle ou telle classe – en général celle des hommes hétérosexuels –, et qui doit donc être réformé.

– Pourriez-vous donner un exemple concret de cette tendance ?

– Un de ces jours, j’ai entendu dire qu’en Amérique il y a quelqu’un qui souhaite épouser son propre enfant. Cela a servi de prétexte à une intensification des messages incitant à se débarrasser des tabous entourant « l’inceste consensuel ». Or pour attaquer l’interdit de l’inceste, on emploiera exactement la même argumentation qu’en faveur du mariage gay : on expliquera que cet interdit a varié d’époque en époque, qu’on n’a pas toujours défini l’inceste de la même façon. Et s’ils s’aiment, qu’est-ce que ça peut vous faire ? En quoi une relation incestueuse devrait-elle déranger ceux qui ne vivent pas dans une telle relation ? Ont-ils peur de perdre des privilèges ? Gagneront-ils quoi que ce soit à l’interdiction d’une relation incestueuse ? Pourquoi ne pourrais-je pas épouser ma propre mère, si je le souhaite ? Et ceci n’est pas qu’une hypothèse théorique : en Amérique, de telles revendications existent. Et les partisans de la pédophilie recourent au même système d’argumentation.

– A long terme, quelles risquent d’être les conséquences de la propagation de l’idéologie du genre ?

– Quand on refuse de reconnaître que la biologie prête à conséquence, cela peut provoquer des pathologies mentales très diverses. Quand nous avons une utilisation inappropriée de nos outils ménagers ou de notre véhicule, ils tombent en panne ; quand un bâtiment est construit dans le mépris des lois de la physique – sous prétexte que ces dernières seraient des inventions arbitraires – ce bâtiment va s’effondrer sur nous. Et si nous ne sommes pas capables de comprendre la cause du désastre, nous n’aurons plus que nos yeux pour pleurer. Il n’en va pas autrement quand nous sommes nous-mêmes l’objet d’une telle erreur.

– L’objectif des adeptes de la théorie du genre est – comme vous l’écrivez – la création d’une société exempte de rôles de genre. Une telle société pourrait-elle fonctionner ?

– Les adeptes de la théorie du genre sont à la recherche de la liberté absolue, d’un monde où aucune norme ne la limite jamais. Ils pensent qu’il ne suffit pas qu’il existe une normalité centrale en marge de laquelle chacun peut vivre sa vie comme il l’entend, parce que dans ce cas, ceux qui s’écartent de la norme peuvent en souffrir émotionnellement – en d’autres termes : ils préfèreraient qu’il n’existe aucune norme, ou plutôt une norme minimaliste édictant seulement l’absence de norme, et l’obligation faite à tous de l’accepter. L’ennui, c’est que cela mènera à une atomisation aggravée du corps social, et finalement à son éclatement.

– Cela implique qu’on considère la famille comme la base de la société.

– Carle C. Zimmerman a écrit un livre intitulé Family And Civilization, dans lequel il étudiait le lien entre force de la famille et stabilité de la société. Sa conclusion était que là où la cohésion familiale s’affaiblit, la société s’effondre. Dans sa modélisation, une société comme la nôtre relève de la phase ultime du dernier stade. Zimmerman a prédit avec précision ce qui allait arriver à la fin du XXe siècle. La société des mouvements LGBT cessera tôt ou tard d’exister, et les droits que ces mouvements ont obtenus disparaîtront en même temps qu’elle.

– Vous parlez aussi de la construction d’une théorie du genre « correcte » et de la nécessité d’une contre-révolution anthropologique. Qu’entendez-vous au juste par « théorie du genre correcte » ?

– En principe, la « théorie du genre » désigne une théorie des rôles de genre. En d’autres termes : aucune contrainte logique n’oblige une telle théorie à être fondée sur le reniement du biologique, mais historiquement, c’est cette direction qu’elle a prise. La contre-révolution anthropologique, c’est de comprendre notre corporéité, d’accepter notre existence corporelle, c’est de chercher la réunification du corps et de l’âme. Il est par exemple curieux de constater que, alors même qu’il est commun de reprocher à la vision traditionnelle de l’homme un caractère anti-érotique, en réalité, c’est justement cette vision qui proclame l’unité du corps et de l’âme, et évite par conséquent de tomber dans la négation du corps. Du point de vue de la sexualité, ce qui se passe de nos jours sur les campus américains – les déclarations de consentement, à signer par écrit ou à travers des applications – est tout sauf libérateur. Ces procédures bureaucratisent les relations sociales et l’intimité humaine jusqu’à les rendre totalement étrangères à la vie – jusqu’à évoquer certaines scènes des Monty Python.

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