– Vous avez récemment prié par écrit la présidente du PE, Roberta Metsola, d’intervenir contre les socialistes, qui distribuaient dans l’enceinte du Parlement des tracts calomniateurs à l’encontre de Viktor Orbán et de Jarosław Kaczyński. Vous a-t-on répondu ?
– Non, mais je continue à attendre. Il valait la peine d’écrire cette lettre, ne serait-ce que parce que notre parlement a une nouvelle présidente : dans l’espoir que Roberta Metsola se saisisse de l’occasion pour tenter de prévenir les agissements de ce genre au sein de l’institution. Calomnier Viktor Orbán et Jarosław Kaczyński, c’est du hooliganisme politique – cela ne mérite aucun autre nom. Le problème que je vois, c’est que la majorité de gauche au sein du PE se croit désormais tout permis. Essayez seulement de vous imaginer ce qui arriverait si moi je me mettais à exécuter ce genre de manœuvres dans l’enceinte du PE. J’aurais probablement déjà été sanctionné.
– Comme vous en êtes à votre troisième mandat européen, on aurait pu croire que vous vous soyez déjà habitué aux trucs de campagne de ce genre.
– Plus le temps passe, plus la situation s’aggrave. La majorité de gauche à laquelle je viens de faire allusion considère aujourd’hui qu’il est de son intérêt que les gouvernements polonais et hongrois, sous leur forme actuelle, cessent d’exister. Et je ne parle pas uniquement du PE.
« Je l’ai dit à Ursula von der Leyen, très clairement, en la regardant dans les yeux : la Commission européenne travaille elle aussi au renversement de gouvernements européens démocratiquement élus. »
Quant à l’arsenal à leur disposition, il est des plus amples, allant des attaques de nature politique jusqu’aux menues insultes et aux vexations personnelles. Et pendant ce temps, le PE travaille d’ores et déjà à une énième prise de position sur la Hongrie ou la Pologne. Ensuite, on va débattre de l’affaire Pegasus, et n’en doutons pas un instant : en dépit du fait qu’il n’existe pas la moindre preuve à charge contre les gouvernements de Budapest et de Varsovie, c’est sur nous que portera la quasi-intégralité des discussions. La réalité, c’est qu’il n’y a plus de règles, plus de limites. On en a l’estomac qui se soulève.
– Et qu’a répondu la présidente Von der Leyen a votre accusation ?
– Comme elle ne risquait pas de reconnaître que j’ai raison, elle s’est mise à parler du rôle de la Cour de justice de l’Union européenne. Mais je vais vous donner un autre exemple : le Parti populaire européen envoie une délégation en Pologne, et l’eurodéputé dirigeant la délégation, l’espagnol Esteban González Pons, déclare publiquement, sans la moindre gêne, que le but de la délégation est d’aider les Polonais à changer de gouvernement. C’est tout simplement scandaleux.
– Il reste moins d’une semaine avant la sentence que doit rendre la Cour de justice de l’UE dans l’affaire du texte sur l’état de droit. Quelles sont vos prévisions ? D’après de récentes rumeurs, le Parlement européen pourrait lui aussi très vite commencer à débattre de cette sentence – ce serait, en pratique, une question d’heures.
– N’est-ce pas ridicule ? Ils pourraient au moins attendre la publication de la motivation écrite. Là aussi, on voit bien que la gauche part du principe que la Cour va confirmer la validité de ce texte. C’est d’ailleurs une certitude que je partage.
« Il y a déjà belle lurette que je ne me fais plus aucune illusion sur les compétences du tribunal de Luxembourg. Il agit exactement comme la Commission et le Parlement : tous s’efforcent de contourner la lettre des traités. »
En pratique, il n’existe pas de procès qui déboucherait sur une décision de la Cour de l’UE allant à l’encontre des institutions de l’Union. Elle défend systématiquement ces institutions. Et ce n’est pas maintenant que cela risque de changer.
– Si la légalité du texte en question est confirmée, cela ouvre la possibilité de sanctionner certains pays en réduisant les fonds européens qui leur sont versés. Entre-temps, les plans de relance de la Hongrie et de la Pologne sont, eux aussi, en attente d’approbation. Cette semaine, on a aussi vu la Commission européenne annoncer qu’elle compte soustraire quinze millions d’euros aux fonds européens destinés à la Pologne – en dépit de l’accord intervenu entre-temps avec les Tchèques dans l’affaire de la mine de Turów. De quelle marge de manœuvre dispose Varsovie ?
– Cette marge de manœuvre diminue de jour en jour. Mais cela ne fait que prouver ce que je viens de dire : que c’est en connaissance de cause qu’ils s’efforcent de rendre la vie impossible à nos gouvernements. Mais cette médaille a deux faces, car, sur l’ensemble du continent, il y a de plus en plus de gens qui se réveillent, et aperçoivent l’autre visage de l’UE – qui est fort laid. Trente ans après la fin du communisme, en pratique, on se retrouve devant la même question : sommes-nous en train de perdre notre souveraineté ? Car, n’en doutons pas un seul instant : les perdants de cette histoire ne pourront être que les États membres orientaux – pas l’Allemagne ou la France. Et la conférence en cours sur l’avenir de l’UE est pour eux une nouvelle occasion de tenter d’imposer le principe d’un remplacement complet de la prise de décision unanime par le vote à la majorité qualifiée.
« On a vu comment même les sentences des cours constitutionnelles des États membres pouvaient, au besoin, être balayées d’un revers de la main. Et pourtant, au début, il était bien clair que l’idée d’une intégration toujours plus étroite n’impliquait pas la suppression totale de la souveraineté des États membres. »
C’est là un processus qui favorise les grands pays que je viens de mentionner, car ce sont eux qui font la force des institutions de l’Union. Si les Allemands et les Français, du jour au lendemain, retiraient leur soutien à la Commission européenne, cette dernière serait totalement paralysée. Mais cette lutte pour le pouvoir a sa dimension idéologique, étant donné que, de leur point de vue, les États membres orientaux ne sont pas suffisamment progressistes, s’intéressent trop au passé, et vont même, quand ils votent, jusqu’à porter au pouvoir des gouvernements conservateurs.
– Il y a quelques semaines de cela, justement, le président français déclarait à Strasbourg qu’il faut user prudemment des instruments de l’état de droit, pour éviter que davantage d’États ne deviennent des déçus du projet européen.
– Il y a, en effet, quelques jours qu’on entend des paroles rassurantes, mais qui ne changent rien au fait que la machine continue à tourner, et ne peut plus être arrêtée. Ils nous tombent dessus comme un bulldozer. La sentence que doit délivrer la semaine prochaine la Cour de justice de l’UE pèse plus lourd que les propos du président Macron en session plénière. La seule chose qui pourrait ralentir ce processus, c’est que nous soyons plus forts. Mais je crains que le camp conservateur européen ne soit actuellement trop faible pour cela. Tout ce dont nous aurions besoin, c’est de la formation d’une minorité de blocage – nous ne souhaitons naturellement pas imposer nos vues à autrui. J’ose espérer – sans trop y croire – que cela pourrait changer après les élections européennes de 2024. En Europe de l’Ouest, il y a une grosse moitié de la population que la direction prise par l’UE ne satisfait plus. Et même certains pays où entre 30% et 40% des gens ont adopté une position explicitement critique. Si leurs intérêts disposaient d’une représentation, nous pourrions changer les choses. Mais comme je ne suis pas devin, je préfère m’abstenir de toute prédiction.
– L’année prochaine, ce sera la Pologne qui ira aux urnes. Vous attendez-vous à des pressions étrangères ?
– Naturellement. À Bruxelles, on ne nous oubliera pas davantage qu’on n’oublie que la Hongrie va voter en avril.
Photo: Ryszard Legutko (Photo Credit: EP)