Dans ce domaine au moins, Monsieur le secrétaire d’État, vous vous y connaissez, vous autres : l’« exportation de démocratie ». C’est un domaine dans lequel vous êtes auréolés de tant de succès d’ampleur mondiale, de tant d’admirables triomphes : l’Afghanistan, l’Irak, les splendides printemps arabes, et puis bien sûr l’Ukraine et sa « révolution » du Maïdan, dans laquelle vous avez – selon vos propres aveux – investi des milliards de dollars – sauf qu’on a un peu de mal à savoir sous quel déguisement au juste agissaient les agents de la CIA présents d’un côté comme de l’autre des barricades, pour plomber deux ou trois têtes dans la foule. Vous êtes devenus des rois Midas à l’envers : tout ce que vous touchez – serait-ce de l’or pur – se change en merde.
Et, avant qu’on n’oublie, posons-nous tout de même brièvement la question : pourquoi serait-il aujourd’hui obligatoire de tellement détester les Russes ?
Parce que chez vous, on a trouvé dans le sol des quantités de gaz de schiste. Du très bon gaz, oui, sauf que l’extraire coûte un bras. Les entreprises américaines du secteur ayant accumulé des dettes vertigineuses, il faut vendre ce gaz de schiste, bien cher, n’importe où. Alors que les Russes, eux, ont du gaz bon marché : il sort de terre de lui-même, et l’Europe l’achète – à tel point que les Allemands se sont même payé une petite conduite juste pour eux, juste pour faire venir ce gaz-là. Ah ça, non, ça ne vous convient pas ! Et alors, que va devenir ce cher gaz de schiste américain, à qui il faut faire passer l’océan, jusqu’aux terminaux en cours d’installation sur des ports européens, sur d’énormes tankers qui consument en une heure des centaines de milliers de litres de carburant, mais ça ne fait rien, du moment que Biden reçoit solennellement Greta Thunberg, et que la CNN nous dépeint, avec des larmes plein les yeux, les efforts qu’il déploie pour protéger l’environnement.
Voilà donc pourquoi nous devrions maintenant tellement détester les Russes. Parce qu’une coopération à l’échelle de l’Eurasie pourrait tout simplement mettre entre parenthèses votre empire délabré de crétins décérébrés, où les universités sont devenues des forums de discussion sur le racisme des doseurs de lessive, et où les militants BLM pillent librement en mémoire d’un criminel de droit commun. (À propos : ce Hadházy [député de l’opposition hongroise – n.d.t.] de Russie qu’on appelle Navalny, c’est vous qui l’avez formé ? Ou bien les Allemands ? Ou peut-être vous en êtes-vous chargés ensemble ?)
En tout état de cause, Monsieur le secrétaire d’État, il est bon que vous sachiez que vous aussi, nous vous connaissons – que nous vous connaissons même très bien. Nous savons, par exemple, que vous ne manquerez jamais d’agents secrets et d’« environnement médiatique ouvert » pour rendre la vie impossible aux éléments insuffisamment russophobes et insuffisamment libéraux, pour les faire taire et, au besoin, pour les mettre derrière les barreaux. Il y aura toujours suffisamment d’« affaires de corruption », de « harcèlement sexuel » et d’« adultères » que vous vous chargerez, le moment venu, de « faire éclater au grand jour » – mais, quant à savoir si Clinton a séjourné sur l’île de Jeffrey Epstein, ça, on ne l’apprendra jamais. Que dis-je ? Même quand une certaine Monica Lewinsky l’a gratifié de ses talents de flutiste à même le Bureau Ovale, et que Clinton a prétendu le contraire, c’est votre propre Cour Suprême qui s’est chargée d’établir par arrêté que la fellation n’est pas un acte sexuel, et ne peut donc pas être considérée non plus comme un acte d’adultère.
Ce n’est pas qu’on se sente mal chez vous, Monsieur Blinken… Mais notez bien, tout de même – si possible de façon à ne plus l’oublier jusqu’à la fin de vos jours – cette vérité éternelle telle que l’a formulée un collègue à moi, plus savant que je ne le suis : le monde est toujours construit par des conservateurs imparfaits, et toujours foutu en l’air par des libéraux parfaits.
En guise de conclusion, permettez-moi d’opérer une rectification. Il est, par chez nous, devenu habituel de dire que vous auriez des « racines hongroises ». C’est à ce propos qu’une précision me semble s’imposer : ce que vous avez, Monsieur le secrétaire d’État, c’est un DÉRACINEMENT hongrois, à la mesure, d’ailleurs, de votre déracinement américain.
Et voilà très exactement la raison pour laquelle votre monde est condamné à disparaître. Toutes mes condoléances ! Et, puisque j’ai commencé cette missive par une citation des propos du personnage Bendegúz Regős du film Indul a bakterház, terminons-la sur une autre citation du même personnage :
« Moi, j’ai toujours été un garçon bien intentionné, mais, le temps que j’arrive au bout de mes intentions, à chaque fois, elles deviennent mauvaises. »
Voilà comment je vous vois vous aussi, dans mes moments bien intentionnés – qui sont de plus en plus rares.